Phillip Schube Coquereau
Vraisemblance du mensonge et falsification des sources : la vérité sous tension
Lecture des Falsificateurs d’Antoine Bello
Nous sommes entrés dans l’ « âge du récit » où le plus grand défi qu’affrontent les entreprises est la manière de communiquer sur leur histoire de la façon la plus efficace et crédible possible – à la fois à l’interne et à l’extérieur.
William Ryan1
1L’étude des phénomènes reliés à la narration a connu un certain renouveau par sa migration hors du giron littéraire, laquelle résulte de la récupération de son champ de réflexion par plusieurs disciplines, ce que Salmon appelle le « narrativist turn » (S : 11). Ce « tournant narratif » recouvre les techniques du storytelling qui inondent la sphère discursive de la société, alors que politiques, hommes d’affaires, coachs de vie ou formateurs en entreprise s’en remettent aux vertus cognitives du récit pour convaincre leur auditoire2. Christian Salmon se montre extrêmement critique à l’endroit de cet art de raconter réduit à un instrument de manipulation :
[D]epuis les années 1990, aux États-Unis puis en Europe, [l’art de raconter] a été investi par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant, sous l’appellation anodine de « storytelling » : celui-ci est devenu une arme aux mains des « gourous » du marketing, du management et de la communication politique, pour mieux formater les esprits des consommateurs et des citoyens (S : quatrième de couverture).
2Qualifiés de propagande, les récits conçus dans cet esprit jouent des aspects pragmatiques de la narration et exploitent les ressources de la vraisemblance pour emporter l’adhésion. Ce recours à la puissance du vraisemblable est mis en scène dans un roman récent, Les falsificateurs d’Antoine Bello (2007)3, qui traduit explicitement cette tension que le lecteur autant que le citoyen vivent par leur relation aux récits qu’on leur soumet. En somme, ce qui gouvernerait notre adhésion à la fiction ne proviendrait pas tant du fruit de l’exercice de notre sens critique que de notre propension à croire en ce que l’on nous avance. Aux dires de Jean-Marie Schaeffer, c’est une piste connue depuis les travaux de Hume, dont le modèle se concentre sur les enjeux pragmatiques de l’adhésion :
Le modèle humien pense la fiction non par rapport à la vérité mais par rapport à la croyance, c’est-à-dire par rapport à la question de l’usage, du mode de fonctionnement des représentations. C’est donc un modèle pragmatique. À ce jour, il est resté marginal dans les réflexions théoriques consacrées à la fiction, même si les définitions en termes de feintise partagée s’inscrivent dans sa descendance, bien qu’elles ne soient sans doute pas toujours conscientes de ce fait (Heinich et Schaeffer, 2004 : 165).
3Cet aspect performatif du récit – provoquant l’assimilation dite « littérale » (Marchand : 1990) – se trouve au cœur de la pensée du storytelling, et nous posons ici l’hypothèse que la thématisation explicite de la vraisemblance dans le roman de Bello répond à cette récupération du pouvoir d’adhésion du récit dans le vaste et prospère univers des communications publiques4, tant l’édifice entier des Falsificateurs semble reposer sur cette prémisse. Entre révélations et retenue, toute une rhétorique s’ébranle pour que la vraisemblance de l’ensemble, à grand renfort de référentialité, « triomphe » de sa nature fictionnelle, s’en émancipe en quelque sorte. Au-delà de l’intention de tromper propre à toute entreprise de falsification, nous ciblerons les stratégies et les moyens « narratifs » qui sont déployés dans le roman pour falsifier les sources. Mises à l’avant-plan dans le roman, ces techniques donnent l’impression d’un élargissement de la réalité par la performance énonciative. Saturée de données d’ordre empirique, l’œuvre cherche à provoquer chez son destinataire certains courts-circuits entre les pôles fictionnel et non fictionnel. Et c’est avec cette tension que travaillent les tenants du storytelling dépeints dans l’essai de Salmon ; en cherchant à la neutraliser, ils utilisent une feintise dissimulée qui corrompt le pacte de captatio illusionis.
4Notre analyse concernera d’abord le principe de développement de l’histoire, sublimé dans la structure corporative du CFR (Consortium de Falsification du Réel) où est embauché le protagoniste de l’histoire. Construit sur le modèle d’une entreprise multinationale, le CFR reprend le schème de l’organisation secrète dont le fonctionnement et les valeurs sont graduellement révélées aux initiés à mesure de leur progression dans la hiérarchie. Suivra l’illustration, par trois exemples de falsification, du potentiel paradoxal de la fiction pour modifier la perception de la réalité. Le contrôle des « réalités » nouvelles introduites et le poids « pragmatique » de la fiction occuperont une troisième partie, dans laquelle sera aussi abordée la subversion du paradigme de vraisemblance inhérente aux techniques du storytelling ainsi qu’à celles de la falsification présente dans le roman de Bello.
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5Le CFR est une organisation internationale qui utilise son personnel pour modifier la réalité par l’entremise de scénarios que ses commettants tâchent d’insérer dans l’histoire au sens d’Historia. Il s’agit donc, pour ces agents menant une double vie, d’introduire dans le réel des incidentes falsificatrices pour le modifier. Derrière des directives globales cependant, la finalité des opérations du Consortium leur est sciemment cachée. Ce paradoxe n’échappe pas aux personnages qui chercheront à percer ce mystère à jour5.
6Le héros dont on suit le parcours s’appelle Sliv Dartunghuver. Après avoir suivi l’enseignement qui lui permettra de s’élever au-dessus des dogmes et des préjugés de la réalité « commune » dont il faisait partie, il doit apprendre l’art de la falsification : inventer des sources d’informations, faire exister des personnages fictifs, créer de toutes pièces des œuvres ou des événements, puis ajouter ces données virtuelles dans différentes archives réellement existantes, comme les registres d’état civil ou toute autre documentation – du journal à la base de données sismologiques – pouvant servir de référence, de « mémoire du réel ». Dans l’univers des Falsificateurs, la chienne cosmonaute Laïka serait une supercherie dont seuls les membres du Consortium connaissent l’existence, et la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, une erreur que l’histoire, longtemps après une tentative du CFR, aura finalement corrigée sans intervention « extérieure » ; nous y reviendrons. Dans cet univers bien fictionnel, on découvre comment procéder pour rendre un événement – ou une rectification – historique indiscutable et « avéré ».
La vérité sous tension : le principe
7Comme tous les « grands récits », celui des Falsificateurs ne pourrait exister sans des voix supérieures qui en motivent et en dirigent l’exécution. Elles sont cristallisées par le Consortium de Falsification du Réel, directement construit sur le modèle d’une multinationale au fonctionnement centralisé. En effet, le CFR se retrouve partout dans le monde et sa structure « impériale » reconduit la volonté d’omnipotence et d’omniprésence d’un groupe d’individus sur l’humanité tout entière, celle de tout englober, de tout maîtriser, de tout contrôler. Les falsificateurs exploite sans arrêt le pouvoir perlocutoire du surplomb hiérarchique du discours, cette propension à écouter les voix qui nous dépassent, et ce, même si on entend les critiquer. Autorité suprême par le pouvoir de ses décisions dans l’économie textuelle, le CFR joue aussi le rôle paradoxal de source de vraisemblance, laquelle est d’emblée repérable par la dénomination de l’entreprise. Au plan cognitif, un sigle postule un certain ancrage dans le réel. Par sa nature seconde et abrégée, il procède d’une certaine « réalité » préalable dans les schèmes d’accréditation du lecteur et peut ainsi convaincre de son existence de manière indirecte.
8La nature biaisée du CFR tient aussi sa vraisemblance de la réticence nécessaire que ses membres doivent avoir à le décrire (entre eux), si ce n’est l’interdiction pure et simple de le faire (avec les « autres »). Lorsque Gunnar Eriksson, le patron de Sliv dans le cabinet d’experts (une façade6) où ce dernier travaille, lui parle d’intégrer le CFR dont il est membre, le protagoniste répond avec tout le sens critique possible, réaction marquée d’une anticipation des qualités requises. Posé en double du narrataire qui s’interroge, on lui répond avec la dose de mystère nécessaire à son adhésion sans qu’il en apprenne davantage :
- Attendez Gunnar, vous essayez de me recruter au sein d’une organisation dont vous refusez de m’expliquer la finalité ?
- C’est exactement ce que j’essaie de faire, oui. Autant vous le dire tout de suite, je ne suis pas autorisé à vous en révéler bien davantage aujourd’hui. Je ne vous dirai pas par exemple qui dirige le CFR ni quand celui-ci a été créé.
- Que signifie le sigle CFR ? Vous pouvez au moins me dire ça ?
- L’explication communément admise est qu’il signifie « Consortium de Falsification du Réel », mais à vrai dire personne n’en est certain (F : 42 ; nous soulignons).
9Il faut ici relever la projection d’un savoir retenu, la « non révélation » d’un pan de réalité, celui qui, à l’inverse du pan sur lequel les agents du Consortium interviennent, lui demeure inaccessible. Le CFR se déploie par un réseau souterrain où le jeu de façade, omniprésent, importe pour procéder à l’insu de tous. Il rappelle également les services secrets (CIA, KGB7, etc.), organismes jouissant, dans la croyance populaire, d’une double réalité, à la fois connue et inconnue. Les trois instances exécutives de l’organisme sont :
10Le Plan : organe central où sont arrêtés les axes directeurs présidant à la planification des actions. Il accueille également le comité exécutif, comité qui chapeaute ledit plan et dont la composition est tenue secrète ;
11Les Opérations spéciales : elles interviennent chaque fois que le CFR est menacé. Elles comptent moins d’une centaine de membres que leur connaissance des secrets honteux de l’organisation oblige à un devoir de réserve sévère ;
12L’Inspection générale, enfin, s’assure de la stricte application des codes et des procédures.
13Au-dessous de ces trois grandes directions se retrouvent les directions fonctionnelles : Finances, Ressources humaines et Informatique, en plus d’une foule de bureaux disséminés sur le Globe. Chacun de ces bureaux répond à un besoin spécifique de l’entreprise, soit pour l’établissement d’un scénario – Stuttgart fournit des personnages, Berlin, des légendes, Grenoble, des auteurs imaginaires –, soit pour la subversion des sources – Madras (Inde) possède l’expertise pour trafiquer les données démographiques, Brême manipule le droit commercial, Barcelone, la condition féminine, etc. L’analogie avec ces services secrets se prolonge par la forme de hiérarchie qu’on y retrouve. Au CFR, l’individu recruté passera successivement des statuts de « candide » à « bizuth », puis devenu agent, de la classe un à la classe trois. S’il n’atteint pas son niveau d’incompétence, l’agent de classe trois peut espérer faire son entrée à « l’Académie », laquelle se situe au cœur de la Sibérie sous la façade d’une académie de langues, l’Académie internationale pour la coopération linguistique. Quelques candidats triés sur le volet en sortiront agent hors-classe8 et pourront aspirer à œuvrer dans l’une ou l’autre des trois grandes directions, et donc aux véritables responsabilités. L’enjeu principal de l’intrigue consiste à découvrir l’étendue des ramifications du CFR, et les réponses qu’obtiendra le jeune agent apporteront chaque fois plus de questions, à l’instar du narrataire à qui il s’adresse. Ce dévoilement influe aussi sur l’autorité que le personnage accorde au Consortium.
14Sur un autre plan, le régime de narration autodiégétique du roman permet de manipuler le destinataire en réduisant son savoir à celui du protagoniste. Par son travail, l’agent Dartunghuver est avant tout un rouage de l’organisme pour lequel il œuvre. Ici encore, le croisement de la proposition des Falsificateurs avec ces techniques parle de lui-même. Dans le chapitre intitulé « L’empire de la propagande », Salmon relate la discussion qu’un journaliste du New York Times, Ron Suskind, a eue en 2004 avec un conseiller de Georges W. Bush :
Il m’a dit que les gens comme moi faisaient partie de ces types « appartenant à ce que nous appelons la communauté réalité ». […] « Vous croyez que les solutions émergent de votre judicieuse analyse de la réalité observable ». J’ai acquiescé et murmuré quelque chose sur les principes des Lumières et l’empirisme. Il me coupa : « Ce n’est plus de cette manière que le monde marche réellement. Nous sommes un empire maintenant, poursuivit-il, et, lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et, pendant que vous étudiez cette réalité, judicieusement comme vous le souhaitez, nous agissons à nouveau et nous créons d’autres réalités nouvelles, que vous pouvez étudier également, et c’est ainsi que les choses se passent. Nous sommes les acteurs de l’histoire. […] Et vous, vous tous, il ne vous reste qu’à étudier ce que nous faisons » (S : 171-172 ; nous soulignons).
15Entre le niveau macro-diégétique, dédié à l’évolution des agents falsificateurs dans l’organisation, et les niveaux micro-diégétiques, renvoyant aux multiples dossiers auxquels ils donnent vie, une analogie s’impose : ils agissent autant qu’ils sont agis, ce qui confère à chacun de leurs gestes de falsification un double statut pragmatique : celui de développer la diégèse dont ils sont l’objet, et celui de tromper sur la réalité empirique en jouant précisément de ce qui sert à la reconnaître.
La vérité sous tension : l’illustration
16Les scénarios jouent abondamment, nous l’avons dit, de la référentialité, les « brouillons de fiction » cherchant à se mouler le plus possible à la réalité factuelle pour favoriser leur saisie en étant tenus pour tels. Quant à elle, la falsification des sources s’adjoint à ce brouillage pour épaissir l’illusion de totalité référentielle, en appelant alors aux « connaissances » générales du destinataire. Voyons à présent trois exemples qui exposent comment cette mise en abyme du réel et de sa manipulation induit une vraisemblance empirique, par un recours à une « macro-réalité » proche de celle du destinataire – et du lecteur – projeté, mais construite en régime fictionnel. a) Thématisation pure de l’intérêt porté à la vraisemblance, le chapitre treize de la première partie du roman traite d’un événement capital pour le jeune agent du CFR : il se rend à Honolulu pour défendre sa candidature au prix du meilleur premier dossier. Il y termine premier sans grande surprise9. Ce qui revêt plus d’importance concerne l’un des multiples séminaires – figuration, cette fois, d’une autorité institutionnelle – auxquels assisteront tous les candidats en lice avant la remise des prix. Le séminaire en question porte explicitement sur la vraisemblance, plus précisément sur quatre critères majeurs de l’adhésion au récit énoncés par l’entremise de questions du maître et leurs réponses fournies par les futurs falsificateurs :
La notion de vraisemblance d’un scénario renvoie à cette question fondamentale : pourquoi croit-on à une histoire ?
[1] […] J’imagine, dit bravement Magawati, que cela dépend de qui raconte l’histoire.
[2] […] On croit plus facilement une histoire si elle confirme une opinion que l’on a déjà.
[3] […] On croit plus facilement à une histoire que l’on aime. […] Par conséquent, la façon dont vous racontez une histoire doit impérativement dépendre du public à qui vous la destinez.
[4] […] Certaines histoires sont plus que des histoires, elles sont des points de départ. Sitôt lâchées, elles échappent à leur auteur. Des groupes se les approprient, les modifient, les enjolivent et, ce faisant, leur donnent une substance qui emporte l’adhésion des plus sceptiques (F : 141-143).
17Derrière ces formulations à l’emporte-pièce se dessine le visage fragmenté de l’autorité qu’un discours acquiert en régime de narration : autorité « auctoriale » en 1, autorité axiologique ou idéologique en 2, autorité « conative » en 3, autorité pragmatique de propagande (dimension perlocutoire de la narration) en 4. Ce dernier critère avance que la question de la crédibilité s’attache au pouvoir d’intrusion dans les convictions des individus pour devenir pérenne. Ce principe a été énoncé depuis longtemps en rhétorique, et sa légitimité a été réaffirmée au début du XXe siècle par Edward Bernays dans Propaganda, son ouvrage fondateur des relations publiques, dans lequel il dénonce le rejet péremptoire de la propagande en ces termes :
On peut critiquer certains des phénomènes qui en découlent [de la libre concurrence], notamment la manipulation des informations, l’exaltation de la personnalité, et tout le battage de masse autour de personnalités politiques, de produits commerciaux ou d’idées sociales. Même s’il arrive que les instruments permettant d’organiser et de polariser l’opinion publique soient mal employés, cette organisation et cette polarisation sont nécessaires ([1928] 2008 : 3).
18Voilà une opinion qui donne sa légitimité au travail du CFR comme à tous les services secrets opérant à l’abri d’impératifs supérieurs au débat démocratique et à la transparence des faits. Pour fonctionner, cette régie de l’opinion publique doit toutefois en arriver à produire un discours recueillant l’assentiment de la plupart ; il faut donc se raccrocher le plus souvent possible à des « canevas narratifs universels » (F : 143) qui respectent les convictions morales ou qui donnent de celles-ci l’impression d’être laissées intactes. Si l’appui des données historiques informe la vraisemblance empirique, on le pose comme étant nettement insuffisant pour soutenir l’adhésion à la diégèse en tant que telle. Les sources de référence ont besoin d’une épaisseur supplémentaire que le scénario leur apporte.
19L’importance des suites données à un scénario pour l’ancrage d’une nouvelle réalité constitue un précepte primordial du storytelling, suites qu’il s’agit d’appréhender et d’orienter, ce que Salmon appelle des « expériences tracées » (S : 13) pour lesquelles, on s’en doute, le recours aux canevas s’avère des plus pertinents :
Les grands récits qui jalonnent l’histoire humaine, d’Homère à Tolstoï et de Sophocle à Shakespeare, racontaient des mythes universels et transmettaient les leçons des générations passées […]. Le storytelling parcourt le chemin en sens inverse : il plaque sur la réalité des récits artificiels, bloque les échanges, sature l’espace symbolique de séries et de stories. Il ne raconte pas l’expérience passée, il trace les conduites et oriente les flux d’émotions (S : 16-17).
20La trame fictionnelle n’a pas ici le même usage qu’en littérature. Le storytelling voit en elle un moyen de saturer l’espace empirique, alors que chez Bello, c’est la fiction qui se leste le plus possible de référentialité, ce qui donne raison à Salmon qui voit dans la récupération des techniques narratives par le storytelling un chemin qui conduit à une appréhension inverse du discours.
21b) Autre exemple de biais permettant d'augmenter la vraisemblance empirique de l’histoire : nous pourrions voir une figuration de l’adhésion au récit assez similaire dans les « sagas », ensemble de récits successifs constituant un degré supplémentaire de réussite d’un dossier au CFR10 : « Dans le jargon du CFR, une saga est une histoire que l’on entretient et prolonge par des dossiers réguliers » (F : 251). On conseillera aux recrues de citer le plus possible les dossiers déjà existants ou de s’appuyer sur les sources créées pour sécuriser leur intégration, manière de renforcer à la fois leur « existence » et leur crédibilité. Dans le cas qui nous occupe, Sliv propose un dossier sur un peuple indigène du Botswana, les Bochimans, avant de débarquer, quelques années plus tard, sur le terrain pour poursuivre son action de modification de la réalité en prolongeant un scénario dont il est lui-même le créateur (F : 468). Malgré qu’il pénètre dans cette réalité avec une ferveur de démiurge et de « bonnes » intentions, ce séjour lui fait voir les limites de la falsification en ceci qu’il ne parvient pas à contrôler ce qu’ont fait et ce que feront les acteurs de la nouvelle conjoncture socio-politico-économique que Sliv a produite en mettant son scénario en application. Pris à son propre jeu, Sliv doit renoncer à son objectif, ce qui souligne une absence de contrôle véritable et les limites de la falsification. La « réalité » se relativise, édifice constamment remodelé à l’aune de l’expérience subjective. Paul Watzlawick, dans L’invention de la réalité, a montré que toute construction discursive de la réalité possède une nature fictionnelle induite par le vécu :
On sait que, attribuer un sens et une signification, c’est construire une réalité particulière. Mais, pour parvenir à ce savoir, il faut, en quelque sorte, se prendre soi-même en train de construire cette réalité ; il faut donc comprendre que l’on a construit une réalité « à sa propre image », sans avoir eu conscience d’accomplir un acte de création, et se rendre compte que, face à cette réalité, qu’on a considérée comme indépendante et objective, on s’est construit soi-même réflexivement (1988 : 354).
22En croyant maîtriser « de l’extérieur » une rectification, Sliv est abusé par une modification du réel dans laquelle il investit ses valeurs, jusqu’à ce que surviennent la rupture et l’émancipation d’un scénario ayant désormais une existence autonome. Alors seulement, Sliv réalise le fossé qui existe entre ses propres aspirations et celles du peuple dont il entend prendre la défense par « réalité » interposée. En dépit d’un effet particulier de redoublement fictif, l’histoire des Bochimans montre que la contingence du monde peut parfois limiter la fictionnalisation de la réalité : si l’incidente historique ne parvient pas à pénétrer les schèmes idéologiques, elle perd sa nature performative, ce qui annule son potentiel de construction de la réalité dès lors qu’elle se développe hors d’atteinte du sujet qui l’a d’abord publicisée.
23c) En contrepartie, les événements peuvent se développer à l’inverse de la saga des Bochimans tout en reconduisant le même constat d’une impossible détermination objective de la réalité. La meilleure illustration de cette loi implacable passe par l’explication de la découverte de l’Amérique, version CFR, et redessine, tout en la raffinant, la dialectique susmentionnée. Selon le roman, l’un des agents du Consortium aurait voulu, vers 195011, modifier l’Histoire en proposant que le crédit de la découverte du Nouveau Monde revienne non pas au navigateur génois Colomb mais aux Vikings, et ce, en s’appuyant sur une mappa mundi antérieure à 1492 – fausse, évidemment. La falsification échouera lorsque apparaîtront les nouvelles techniques de datation des artéfacts (carbone 14) et que l’on découvrira la présence d’un produit utilisé dans l’encre de la carte qui n’existerait que depuis un siècle. Pour le CFR, il s’agit d’une affaire critique à confier aux Opérations spéciales. Tout est mis en œuvre afin d’empêcher les spécialistes et les autorités publiques de remonter à la source de la « carte du Vinland » – ladite mappa mundi –, ce qu’on parviendra à faire avec beaucoup de difficulté, et l’on craint que tôt ou tard soit démontrée l’absolue fausseté du document et de l’histoire qui la sous-tend. Sliv fait alors une « trouvaille prodigieuse » (F : 463) : en 1960, un couple d’explorateurs norvégiens avait découvert les ruines d’un village viking à l’Anse-aux-Meadows sur l’île de Terre-Neuve :
Le doute n’était donc plus permis : les Vikings avaient bien accosté en Amérique du Nord cinq siècles avant Christophe Colomb, même si, selon les historiens, ils ne s’étaient pas attardés plus de quelques années. Le CFR ne fait parfois que devancer l’histoire, avait coutume de dire Gunnar. Ce dossier en était le meilleur exemple : dans une sorte d’intuition fulgurante, Ole Gabriel Hagen [l’agent en question] avait imaginé l’histoire et les faits lui avaient donné raison (F : 464 ; nous soulignons).
24À la lumière de ces exemples, on constate comment le pacte d’adhésion se modifie graduellement dans ce roman manipulant la surenchère référentielle, révélant derrière une narrativité en courtepointe le modèle du « grand récit » propre à expliquer et à donner une cohérence au monde éclaté. Ce recours inverse la perspective en la déplaçant du fictionnel au non fictionnel. Alors que la captatio illusionis fait de la vraisemblance la base de sa crédibilité, une « véri-similitude » comme celle qu’orchestrent Les falsificateurs fait tomber ce pacte à plat, ce que Cécile Cavillac résume ainsi :
De même que la nature est une première coutume, le vrai ne serait-il pas un vraisemblable antérieur, et l’histoire une première fiction ? Les questions soulevées par le concept latin de veri similis, entendu dans son sens le plus littéral, atteignent le vrai lui-même et ébranlent l’un des piliers de l’aristotélisme, la distinction entre poésie et Histoire, au grand dam de la première comme de la seconde : car si l’une est privée de sa crédibilité, l’autre perd sa vocation à l’universalité, le vrai-semblable n’étant plus que ce qui ressemble à ce que l’on croit vrai, avec tout ce que cela suppose de conditionnements socio-historiques et de déterminations subjectives (1995 : 35 ; nous soulignons).
25Hélène Marchand propose l’abandon du terme de vraisemblance au profit de celui de semblance pour désigner cet accent mis sur la crédibilité du récit par surcroît de référentialité et qui permettrait de décrire plus adéquatement la littérature en fonction des acquis de la théorie des mondes possibles de Leibniz développée par Lubomir Dolezel :
En tant que contenu propositionnel assurant la représentation de l’objet fictif, la semblance provoque dans la lecture la fonction de reconnaissance qui consiste essentiellement en une opération de distinction entre les composantes du monde fictif qui ressemblent aux composantes du monde réel – comme le lecteur en fait l’expérience – et les constituants du monde fictif qu’il accepte de verser dans les éléments possibles au moins dans la fiction. (Marchand, 1990 : 84)
26Même si l’on peut critiquer ce désir d’évacuer un terme canonique pour caractériser les rapports de la fiction à la réalité, la proposition sémiotique de Marchand pointe clairement en direction du malaise théorique qu’induit aujourd’hui l’évocation du modèle aristotélicien, modèle impropre à rendre compte des manifestations actuelles de la vraisemblance, notamment en regard de l’expérience du lecteur qui « adopte un comportement d’adhésion, c’est-à-dire qu’il entretient manifestement une relation cognitive et affective avec l’objet représenté » (Marchand, 1990 : 85).
Vraisemblance et autorité narrative : le poids pragmatique du récit
La conception que tout individu a du monde est et reste toujours une construction de son esprit, et on ne peut jamais prouver qu’elle ait une quelconque autre existence.
Erwin Schrödinger, L’esprit et la matière
27Des principes « théoriques » à leur application pratique, c’est donc une pensée apparentée au constructivisme structural et au cognitivisme qui règle l’univers des Falsificateurs, figuration de l’effet-Œdipe de Karl Popper :
L’une des idées que j’avais discutée dans Misère de l’historicisme était l’influence de la prédiction sur l’événement prédit. […]Pendant un temps, je crus que l’existence de l’effet Œdipe permettait de distinguer les sciences sociales des sciences naturelles. Mais, en biologie également, et même en biologie moléculaire, les phénomènes d’attente contribuent souvent à amener ce qui a été attendu (Popper, cité dans Watzlawick, 1988 : 114-115 ; nous soulignons).
28Le scénario de la découverte du Nouveau Monde est une illustration « idéale » de ce phénomène complexe où s’entremêlent attente et anticipation, et que Lena Thorsen, collègue de Sliv Dartunghuver, résume ainsi : « C’est la quête qui crée le mythe et non l’inverse. Pensez-vous qu’on parlerait encore du Graal et de la pierre philosophale si les plus brillants esprits n’y avaient gâché tant d’années ? » (F : 239). Le simple entretien d’un doute concourt à susciter l’intérêt et, au final, l’adhésion au récit par la dynamique de réponse aux attentes, effet de la fiction discursive que la narratologie a depuis longtemps cerné et dont le storytelling fait ses choux gras à l’heure actuelle. Les propositions des Falsificateurs se rattachent également au travail sur la théorisation et la compréhension de nos mécanismes de cognition, dont le phénomène de l’adhésion à la fiction n’est pas le moindre. La compréhension de ces mécanismes a occupé, on le sait, les derniers travaux de Jean-Marie Schaeffer sur la fiction :
La question de savoir si une représentation est dotée ou non de force dénotationnelle est une question de fait, au sens où sa réponse dépend exclusivement de l’existence ou non d’un état spécifique : soit les choses sont comme les pose la représentation, soit elles ne sont pas ainsi. La fiction résulte au contraire d’une décision, voire d’un pacte communicationnel, quant à l’usage qu’on décide de faire de certaines représentations, en l’occurrence un usage qui consiste à mettre entre parenthèses la question de leur force dénotationnelle. Pour le dire autrement : ce qui importe dans le cas de la fiction, ce n’est pas de savoir si ses représentations ont ou n’ont pas une portée référentielle, mais d’adopter une posture intentionnelle dans laquelle la question de la référentialité ne compte pas. (2002 : [en ligne] ; nous soulignons).
29Évidemment, la proposition des Falsificateurs ne se satisfait pas de ce point de vue qui fait bon marché de la référentialité en régime fictionnel, ce que l’attention outrancière accordée aux sources n’a pas laissé de montrer. Sliv Dartunghuver convainc néanmoins davantage par l’étalage de ses connaissances des mécaniques de la vraisemblance du discours que par l’actualité de sa pensée. À titre d’exemple, les sources « classiques » auxquelles il s’attaque occultent complètement le développement des nouveaux outils de la propagande12 : Internet, neuro-marketing, médias d’information continue, etc., ce qui étonne quand on s’attarde aux autres champs d’action professionnelle de l’écrivain13. Pour leur part, ces sources d’information n’échappent pas aux penseurs contemporains du storytelling qui en font des canaux prépondérants de diffusion14.
30Paradoxe aussi de voir que la vraisemblance, sur tous les « plans », s’exerce en parfaite transcendance : la remontée vers « les » sources augmente toujours l’ignorance des finalités de l’existence de l’homme, de la fiction et de la réalité15. Ne pourrait-on pas y voir une « transcendance instrumentalisée » où la seule véritable opposition avec celle des modèles religieux concerne les modalités d’adhésion ? Comme Schaeffer, François Flahault et Nathalie Heinich situent l’enjeu de la fiction dans l’exploitation des modalités de transmission à l’œuvre dans toute narration.
Mais que signifie, sur le plan intra-psychique, cette « croyance » particulière à la fiction, bien différente de la « croyance » à des entités d’ordre religieux ou transcendantal ? Elle implique, là encore, un double mouvement : l’identification aux personnages imaginaires et la projection sur eux de ses propres affects et représentations internes (2005, [en ligne]).
31Proclamateur implicite des lois que promulguent son personnage et ceux qui le dirigent, le récit Les falsificateurs développe une histoire où sont représentés des éléments relevant de l’expérience de tout destinataire, par exemple la croyance profonde attachée à certains événements historiques. Par des manœuvres de prolongement et de recoupement, la construction du réel s’énonce autant par les projets (scénarios à réaliser) que par des occurrences référentielles qui affirment leur réussite. Les objectifs et leur atteinte se confondent et s’allient pour appuyer encore davantage la cohésion des différents codes de vraisemblance en renforçant leur validité au plan pragmatique.
32Chez Bello comme dans l’essai de Salmon, on assiste à une instrumentalisation de la fiction. On devient « acteur de l’histoire » – ou « story spinner » (S : 136) – en utilisant le potentiel crédibilisateur de la narration pour orienter et biaiser la réalité, ce qui témoigne de l’exercice particulier d’une autorité narrative telle que l’ont théorisée récemment Frances Fortier et Andrée Mercier (2009). Cette autorité n’est pas entendue comme le résultat d’une consécration artistique ou intellectuelle, disent les auteures, mais plutôt comme une prise en charge des modalités d’instauration de l’adhésion dans l’acte de raconter lui-même. Reprenant, dans une certaine mesure, la pensée de Cavillac sur la question, elles postulent une relation importante entre l’exercice d’une autorité de ce type et la maîtrise de la vraisemblance à travers les « codes » qui la traversent dans le récit de fiction. Parmi ces codes, la vraisemblance pragmatique regroupe les enjeux de l’adhésion :
Alors que la [vraisemblance empirique] porte sur la conformité à l’expérience commune, mesurée à l’aune de la raison et/ou de l’opinion, et la [vraisemblance diégétique] sur la cohérence de la mise en intrigue, la [vraisemblance pragmatique] concerne la fictivité de l’acte de narration : mode d’information du narrateur, circonstances de l’énonciation (Cavillac, 1995 : 24).
33Dans Les falsificateurs, la vraisemblance pragmatique repose en partie sur la diégèse – le pouvoir d’intervention du CFR sur le développement de l’histoire –, mais ce qui suscite le plus l’adhésion par autorité provient davantage de la « distance critique », le doute systématique du narrateur, compétence affichée pour démontrer que son propos peut être endossé malgré la nature de son travail au CFR16.
34La feintise foncière du récit fictionnel, cependant, n’est pas une donnée partagée par la société intradiégétique, elle ne figure pas au pacte que lui offre le CFR. Par conséquent, il ne se produit pas de « dépassement » de la réalité par la fiction, au contraire. On cherche plutôt à les faire coïncider l’une et l’autre pour que la nature fictionnelle première du récit s’estompe. Ici, le narrataire en est toutefois informé, contrairement au citoyen à qui le storytelling prend soin de camoufler la fictionnalité de ses récits posés en discours du « réel ». La correspondance entre le storytelling et la falsification, en termes d’adhésion à l’autorité narrative, se trouve donc au niveau intradiégétique (la société « croit » aux récits qu’on lui soumet), alors que le questionnement du niveau extradiégétique apporte une vraisemblance se fondant sur un autre paradigme, celui du doute sur la véracité de ce qui est avancé par le récit. Par cette tension entre les niveaux, la nature fictionnelle de la transmission narrative est fragilisée : le pacte d’illusion consentie s’effrite au profit d’une incrédulité équivoque, puisqu’elle se fonde sur le doute et la recherche de vérité sur le réel à travers un récit bien fictionnel.
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35Il apparaît difficile, voire impossible, d’épuiser par le détail ce qui fait du roman de Bello à la fois une parfaite illustration de l’autorité du discours narratif qui se trouve à la base de cette mouvance du storytelling, et un bilan des enjeux de la vraisemblance déclinés par les discussions, documents et exposés didactiques faiblement rangés, il faut l’admettre, derrière le prétexte d’une intrigue psychologique quelque peu indigente. Par exemple, la dialectique posée entre le scénario et les sources dans Les falsificateurs comporte une manifestation actantielle à travers la relation entre le protagoniste et son double antagoniste, Lena Thorsen, ravissante et froide collègue islandaise. Alors que celle-ci symbolise la « maîtrise » des sources et la rigueur absolue, Sliv apporte plutôt le génie « créatif » et la souplesse d’esprit du scénariste. Cette polarisation, omniprésente dans l’ouvrage de Bello et à laquelle répond, de loin en loin, la relation tensive « sécurité-portée17 », supporte bel et bien une théorisation, non pas de la vraisemblance romanesque, mais de la vraisemblance par les moyens du romanesque, répondant très directement aux observations de Salmon :
L’essor du storytelling ressemble en effet à une victoire à la Pyrrhus, obtenue au prix de la banalisation du concept même de récit et de la confusion entretenue entre un véritable récit (narrative) et un simple échange d’anecdotes (stories), un témoignage et un récit de fiction, une narration spontanée (orale ou écrite) et un rapport d’activité. Les usages instrumentaux du récit à des fins de gestion ou de contrôle aboutissent ainsi à dénoncer le contrat fictionnel (qui permet de discerner la réalité de la fiction et de suspendre l’incrédulité du lecteur, le temps d’un récit) (S : 13).
36La redécouverte du potentiel d’adhésion au contrat fictionnel par le storytelling, on l’aura compris, est placée sous un jour défavorable, puisqu’il s’agit là d’une adhésion non consentie qui s’alimente à même le pouvoir de reconnaissance pour renforcer la crédibilité de la représentation.
37L’exposition des scénarios dans Les falsificateurs thématise la construction des discours18 que sont les articles de journaux, les documents officiels, les déclarations de dirigeants d’entreprise, d’officiers politiques, bref, ce qu’il convient d’appeler sources de référence. Le travail sur ces sources s’avère alors un artifice supplémentaire de la « scénographie énonciative » (Maingueneau, 2004). Dans le même esprit, le storytelling prône que pour mieux saisir les « réalités » qui composent notre réalité, et qui n’ont souvent rien à voir avec la vérité19, on doit comprendre comment et pourquoi nous les tenons pour réelles.
38Un tel détournement du paradigme de la vraisemblance, l’instrumentalisation de son pouvoir de conviction, a pour conséquence d’en décupler l’importance puisque cela reflète l’expression d’un doute existentiel autant que de certitudes enfouies, constituantes nécessaires du rapport à la fiction et plaidoyer pro domo du CFR. Pour parvenir au vraisemblable dont il fait son principe central, le Consortium se déploie avec ambivalence et un sens « indéniable » de l’intrigue. À tout prendre, falsificateurs ou story spinners exposent on ne peut plus clairement la grande complémentarité qui prévaut entre la vraisemblance et toute entreprise de falsification, dans la réalité empirique ou dans la fiction.
Notes
1 Cité dans Christian Salmon (2007 : 21). Désormais, les renvois à cet ouvrage seront signalés par S, suivi du numéro de page.
2 « Le futurologue danois Rolf Jensen, directeur du Copenhagen Institute for Futures Studies et auteur de The Dream Society, voit plus loin encore. En 2001, il a fondé la Dream Company Ltd, dont il dirige le service “Imagination”. Objectif : persuader la majorité des entreprises mondiales que nous sommes en train de passer d’une société à une autre. Selon lui, d’ici 2020, le prochain stade fondamental de développement de la société sera l’“ère du rêve”. Tous les produits raconteront bientôt une histoire aux consommateurs » (S : 40).
3 Désormais, les renvois à cet ouvrage seront signalés par F, suivi du numéro de page.
4 Paradoxe ou corollaire de l’univers de son roman, Bello est le cofondateur d’une firme internationale de communication au nom pour le moins révélateur : Ubiqus. Les services offerts s’ancrent aussi dans un esprit d’expertise particulier. Ainsi, on offre des services d’interprétariat « clé-en-main », des services de rédaction de communiqué, etc., le tout faisant une sorte d’écho au Consortium mis en scène dans Les falsificateurs.
5 Voir F : 317, 361 et 373.
6 On notera ici un expédient fondamental du genre de l’espionnage ; la façade dévoilée sous-entend que l’on est du côté du secret ou que l’on a découvert son existence. Cette vraisemblance par le genre contribue à maintenir bien franche la division entre la fictionnalité du monde de l’œuvre et la réalité qu’on entend restituer par les moyens d’un texte narratif.
7 Tous deux mentionnés dans le roman de Bello (cf. F : 150).
8 On relèvera la connotation d’émancipation dans l’expression « agent hors-classe » qui s’oppose à la contrainte structurelle des « grades » par lesquels passent les candidats « enrôlés », ce qui reflète une lecture du monde dans lequel qui franchit la surface des discours s’affranchit de la propagande en la reconnaissant.
9 Son scénario convainc le jury, ce dernier faisant figure d’autorité corporative, puisqu’on joue ici de « l’indiscutabilité » d’un verdict.
10 Catégorie qui fera l’objet, comme chacun des éléments touchant à la vraisemblance, d’un exposé didactique dans le roman (F : 153).
11 Notre lecteur aura évidemment noté cette date qui inscrit le CFR dans l’histoire par la durée de son existence.
12 Gérard Larnac (2001) qualifie de « blanche » la propagande actuelle qui sature l’espace communicationnel de manière stratégique plutôt que d’utiliser, par exemple, la censure ou l’idéologie exclusive d’un parti ou d’une religion (propagande « noire »).
13 Voir supra, note 4.
14 Voir S : 177-178.
15 Le protagoniste soutient cette idée par la manipulation dont il est lui-même l’objet de manière récurrente : « [J]e me demandais […] quand le destin consentirait enfinà me délivrer de la compagnie de Lena Thorsen » (F : 398 ; nous soulignons).
16 « [I]l ne suffit pas, pour satisfaire à l’autorité fictionnelle, que le narrateur d’un récit soit dûment informé selon un protocole explicite ou non : il faut encore que, comme tout auteur d’un acte d’assertion, il puisse être tenu pour véridique (adhérant à son propre discours et digne de foi) et compétent (cohérent dans sa relation des faits). Les qualités du narrateur, complémentaires de la vraisemblance pragmatique, jouent un rôle décisif dans le pacte d’illusion consentie » (Cavillac, 1995 : 25-26).
17 « Nous jugeons tour à tour la portée et la sécurité d’un scénario, en lui attribuant deux notes sur 10. Par portée, nous entendons la faculté du scénario à engendrer des conséquences concrètes et positives, en tout cas positives à nos yeux. Quant à la sécurité, elle ne dépend pas, comme vous pourriez le penser, de vos qualités de falsificateur. […] Ce niveau de risque est généralement lié à la nature médiatique du sujet, à la période choisie, au nombre de spécialistes vivants, etc. » (F : 153).
18 À l’instar de plusieurs romans contemporains tels que Life of Pi (Yann Martel, 2002) ou L’expérience interdite (Ook Chung, 2003).
19 « La fictionalité ne réside pas dans la nature du récit mais dans la posture du récepteur, et ce n’est pas à la vérité que s’oppose la fiction, mais à la réalité » (Flahault et Heinich, 2005 : [en ligne]).
Bibliographie
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CAVILLAC, Cécile (1995), « Vraisemblance pragmatique et autorité fictionnelle », Poétique, vol. 26, no 101, p. 23-46.
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FORTIER, Frances, et Andrée MERCIER (2009), « Ces romans qui racontent. Formes et enjeux de l’autorité narrative contemporaine », dans René AUDET [dir.], Enjeux du contemporain, Québec, Nota bene (Contemporanéités, no 1), p. 177-197.
FLAHAULT, François, et Nathalie HEINICH (2005), « La fiction, dehors, dedans », L’homme, nos 175-176, p. 7-18. Aussi disponible [en ligne]. URL : http://lhomme.revues.org/index1828.html [Site consulté le 11 septembre 2009].
HEINICH, Nathalie, et Jean-Marie SCHAEFFER (2004), Art, création, fiction. Entre sociologie et philosophie, Nîmes, Jacqueline Chambon (Rayon art).
LARNAC, Gérard (2001), La police de la pensée. Propagande blanche et Nouvel Ordre mondial, Paris, L’Harmattan (Questions contemporaines).
MAINGUENEAU, Dominique (2004), Le discours littéraire : paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin (U Lettres).
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